Si vous entrez chez Antoine Immobilier à Chamonix, ne soyez pas étonné de voir des photos de Lionel Terray, l'auteur du livre "Les conquérants de l'inutile".
Antoine est le fils de cet immense guide qui a joué un grand rôle dans l'expédition française à l'Annapurna en 1950 et réalisé de nombreuses premières entre les années 40 et les années 60.
Tout près de l'agence, se trouve d'ailleurs l'ancienne maison de Lionel Terray à Chamonix, la Maison Terray. Une maison totalement rénovée, que l'on peut louer, tout comme le Chalet Terray : http://www.maison-terray-chamonix.com/
Pour en savoir plus sur Lionel Terray, découvrez ce portrait signé Jean-Louis Étienne, extrait du magnifique livre "100 Alpinistes" paru aux Éditions Guérin de Chamonix.
« Lionel Terray est né en 1921 dans une famille de la bourgeoisie grenobloise. Très bon skieur, il tourne le dos à ses études et aux ambitions de son père pour participer aux Championnats de France en combiné, descente et slalom. En 1940, après ses premières courses en montagne dans le massif du Mont Blanc, il choisit de s’installer à Chamonix comme agriculteur. Il loue une ferme aux Houches avec l’idée que cette vie lui laissera du temps pour l’alpinisme. L’année suivante, aux chantiers de jeunesse (qui remplacent le service militaire) il fait la connaissance du marseillais Gaston Rebuffat, avec qui il fait sa première grande course, la face nord-ouest de l’Olan. Leur brevet de chef de cordée en poche, Terray et Rebuffat sont mutés à Chamonix pour encadrer les stages de Jeunesse et Montagne. Rebuffat parle de ses ambitions : les Jorasses, l’Eiger …
En 1942, Lionel épouse Marianne, institutrice à Saint-Gervais. Avec Gaston Rebuffat qui vient par moment aider à la ferme, il fait une première du Col du Caïman, une voie très difficile, réussie au prix d’un engagement insensé, avec des assurances très précaires et un matériel inapproprié, chaussures à clou, corde en chanvre … Rebuffat lui propose de tenter la face nord des Grandes Jorasses, que personne n’a encore répétée. Après le Caïman où ils ont frôlé la mort et la disparition d’amis en montagne, Terray doute de ses forces morales. Sa vie de montagnard le comble et lui permet d’échapper au travail obligatoire en Allemagne. Mais bientôt il abandonne la ferme et le dur labeur agricole dont Marianne était lasse et s’engage dans la Résistance. Après une année de combats en altitude, il retrouve Chamonix, passe le diplôme de guide et devient instructeur à l’Ecole de haute Montagne : petite solde mais l’institution militaire lui accorde du temps pour réaliser ses courses. C’est un tournant décisif : » L’Alpinisme devient toute ma vie : ma passion, mon tourment et mon gagne-pain. » Il enchaîne les coures à un rythme effréné. « Vivant aux portes du ciel, j’avais oublié que j’appartenais à la Terre ». Marianne menace de le quitter mais rien ne peut plus s’opposer à sa passion dévorante.
La rencontre qui bouleverse sa vie a lieu dans la face nord de l’Aiguille Verte. Terray a prévu la course avec Jean Pierre Payot ; il croise un excellent grimpeur sorti premier du stage de chef de cordée à Jeunesse et Montagne : c’est Louis Lachenal dont les yeux s’embrasent :
-Ca ne t’embête pas si on vous suit avec Maurice Lenoir ? Je crois qu’on doit être capables.
Dans la montée du couloir Couturier, Terray est ébahi par l’aisance de Lachenal. Le lendemain, Payot et Lenoir abandonnent, victimes d’ophtalmie. Terray a une autre raison d’être ébloui. Il découvre en Lachenal un compagnon bouillonnant de vitalité qui grimpe très vite, « un danseur des cimes aimant passionnément déjouer la pesanteur ».
Terray et Lachenal sortent la face est du Moine en un temps record. En face d’eux se dresse la face nord des Grandes Jorasses : Tu sais Louis, Rébuffat et Frendo sont dans la Walker. Et si on la faisait ensemble ? La cordée mythique de l’après-guerre est née. Terray et Lachenal vivent tous les deux chichement. Ils n’ont pas les moyens d’acheter les nouvelles chaussures à semelles Vibram. Lachenal en bricole deux paires avec des pneus de camion – celles qu’ils porteront aux Jorasses ! Leur avenir ne tarde pas à s’éclaircir. Lionel Terray intègre la Compagnie des guides de Chamonix et devient professeur à l’Ecole nationale de ski et d’alpinisme. Lachenal est instructeur à l’Union nationale des centres de montagne. Au prix d’un gros engagement physique, ils arrivent à conjuguer le métier de guide et le grand alpinisme. Avant d’emboiter le pas à Pierre Allain dans la Walker, ils « s’échauffent » dans l’éperon nord des droites qu’ils sortent dans la journée. Puis ils partent légers pour les Jorasses, convaincus qu’ils pourront sortir aussi dans la journée. Ils ont avalé les deux tiers de la paroi quand l’orage les cueille. Ils sortent épuisés après un bivouac sans équipement, mais ils savent que leur duo est soudé, à la hauteur des plus grandes courses des Alpes. Le Cervin gravi à la hâte, la terrible face nord de l’Eiger les attend. Mais deux ans passent. Terray est handicapé par une blessure à la main, grimpe peu, s’installe un temps au Quebec comme entraineur de l’équipe nationale de ski. Cette fois, c’est Marianne qui coupe court à un début d’embourgeoisement. Le 14 juillet 1947, Louis et Lionel sont au pied de l’Eiger et trois jours de bagarre plus tard, ils se dressent au sommet, au bord de l’épuisement. C’est la deuxième ascension de la paroi redoutée ; la presse fait d’eux des héros. Trois ans plus tard, au retour de l’Annapurna, c’est encore plus fou. A Orly, une ovation accueille Terray qui porte dans ses bras Lachenal, pieds bandés. Terray a joué un rôle majeur pour les portages d’altitude et le sauvetage des deux vainqueurs pendant la descente épique du « premier 8 000 ». Mais c’est Herzog, le chef d’expédition, qui ramasse la mise : « La presse, ce tyran des temps modernes qui, à elle seule peut créer et détruire les héros et les mythes, s’empara de notre Odyssée … Oubliant délibérément la notion trop abstraite de victoire d’équipe, les journaux élevèrent Herzog au rang de héros national, les autres membres de l’expédition, Lachenal compris, étant relégués dans des rôles de simples comparses … Moins d’une semaine après notre retour triomphal, j’avais déjà repris le piolet. »
Terray est devenu un guide très demandé, : « J’en éprouve le même plaisir qu’un artisan à réaliser un travail qu’il aime, voire un artisan à produire un chef-d’œuvre. » Mais il est toujours avide d’engagements forts, de grandes voies. Lachenal, amputé de la moitié de ses pieds au retour de l’Annapurna, ne regrimpera que peu avant sa mort, cinq ans plus tard. Terray voit, dans les Alpes, le grand alpinisme tourner à l’ « exercice de virtuosité technique ». Il ne s’y retrouve pas : « Pesant 80 kilos, affligé de bras anormalement courts et d’une musculature noueuse, je suis morphologiquement mal fait pour les escalades rocheuses extrêmes. » Son terrain de jeu, c’est désormais les massifs lointains, les Andes et l’Himalaya, où il dirige de nombreuses expéditions. Il y réalise, jusqu’à sa mort, une moisson extraordinaire.
En 1952, première ascension du Fitz-Roy avec Guido Magnone, sous les coups de butoir des célèbres vents de Patagonie. En 1955, première ascension du Makalu (8 490 m) sous la direction de Jean Franco. Avec l’aide de l’oxygène en bouteille, tous les membres de l’expédition montent au sommet : « La facilité déconcertante avec laquelle nous avions vaincu ce géant auquel j’avais consacré un an de ma vie fut pour moi une légère déception » écrit Terray.
En 1962, il dirige une expédition au Jannu (7 710 m), une sorte d’apothéose : « Arrivés au sommet, nous restons là, une demi-heure, comme grisés, à distiller les saveurs de ces instants uniques. Je cherche à me pénétrer à jamais du flot de sensations qui m’assaille. Je sais que pour le restant de ma vie, le souvenir de ces minutes sublimes sera un trésor où, dans la tristesse, la laideur et la médiocrité du monde des hommes, je pourrai toujours puiser un peu de lumière et de joie. »
Son autobiographie, Les Conquérants de l’inutile, semble annoncer l’heure de la maturité : « Aujourd’hui, ma volonté n’est plus aussi inflexible et le limites de mon courage ont reculé. Si vraiment aucune pierre, aucun sérac, aucune crevasse ne m’attend quelque part dans le monde pour arrêter ma course, un jour viendra où vieux et las, je saurai trouver la paix parmi les animaux et les fleurs. Le cercle sera fermé, enfin je serai le simple pâtre qu’enfant je rêvais de devenir ».